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Mon chemin de Compostelle à moi ! (Christian Pujol)

Dernière mise à jour : 8 mars 2019



Chemin forêt

En ce mercredi d'été pas un seul nuage, le ciel est d’une couleur uniforme, grise, la chaleur est pesante et moite. La météo a annoncé quelques petites pluies éparses, sans autres précisions de lieu. Cela fait un peu plus d'un an que le journal me confie des reportages et que je lui en propose. Bien souvent, la rédaction accepte mon choix de sujets. Aujourd'hui, je dois me rendre dans un centre de loisirs pour couvrir un grand jeu organisé par des petits colons qui ont invités leurs parents. L’aventure semble inscrite dans ma journée. Je pars donc vers 9h30, équipé de mon sac photo, et, à tout hasard, de mon parapluie de golf (je ne suis pas golfeur, mais ça fait bien de dire que l'on a un parapluie de golf).

Pour la petite histoire, la veille, je me suis offert une nouvelle paire de chaussures, en précisant à la vendeuse que je marche beaucoup et quelles doivent être confortables : « Pas de problème monsieur, elles sont idéales pour la marche ». Semelles épaisses, œillets de réglages pour les lacets, c'est parfait, faisant confiance à cette spécialiste, quelques instants après j'avais trouvé chaussures à mes pieds, enfin presque, ayant le pied large, je suis un peu à l'étroit sur les côtés : « Il faut que la chaussure se fasse », ajoute la vendeuse. Que la chaussure se fasse, oui, mais quand ? A cette question, aucune vendeuse n'a jamais été en mesure de répondre. Je lui laisse en souvenir les anciennes. (Cette dernière phrase est sans importance. Comme si ma vie pouvait vous intéresser! Mais maintenant qu'elle est écrite, je la laisse).

Sans voiture, elle est en panne pour quelques jours, je suis consommateur de transports en commun.

L'horaire affiché sur le tableau de l'arrêt de bus m'informe que celui-ci est passé depuis un quart d’heure et que le suivant passera dans trente minutes. Cet itinéraire, est sans doute le moins bien desservi de tout le réseau de transports. (Ça aussi on s'en fiche! Il faut en venir aux faits, mon vieux - D'accord, j'y viens!)

Je ne suis qu'à deux ou trois kilomètres de mon rendez-vous, qui est prévu à 11h00. Bon marcheur, je préfère donc gagner un peu de temps sur le passage du prochain bus. Attendre trente minutes au même endroit m'est impensable. Avec soixante-quinze centimètres de gagnés vers ma destination, à chacune de mes enjambées, en mettant un pied devant l'autre, j'avance. Après un kilomètre ou deux, j'ai dépassé quelques arrêts de bus, et des bus m'ont dépassé. Ce sont des choses qui arrivent lorsque l'on se trouve entre deux arrêts ! Mes pensées de marcheur solitaire vont à la vendeuse de la veille. Ses paroles me reviennent en tête à chaque pas : « Pas de problème, elles sont idéales pour la marche ».

Quelque chose me pousse à changer de sujet et à effectuer mon reportage chez elle, avec le risque de devenir criminel : « Une vendeuse de chaussures retrouvée morte la gorge serrée par un lacet », quel titre cela ferait ! Mais comme disaient mes parents : « Il faut souffrir pour être beau ». (Bon, alors souffre, marche et tais-toi). Je continuais mon chemin en essayant de ne plus penser à elle. Un nouveau bus me dépasse, je fais signe au chauffeur d'un air malheureux. Fier derrière son volant, il ne daigne même pas me regarder : « Reste zen mon Christian » me chuchote une petite voix venue du plus profond de mon moi-même.

J'arrive à mon rendez-vous avec un peu de retard, le directeur du centre aéré me propose un café et quelques biscuits, puis de m'accompagner pour rejoindre les enfants. Ils participent, ce mercredi, à un grand jeu de piste en forêt, avec leurs parents. « Mais où qu’ils sont-ils donc ces chers petits anges ? », me question-je, tout en discutant avec le directeur. Je découvre que nous sommes médiums, la réponse arrivant avant que je ne la pose : « Nous allons peut-être avoir un peu de mal à les trouver. La forêt, est grande ! » Ben voyons ! Il n'y a qu'à marcher un peu. Des bruits de voix dans une clairière, super nous y sommes. Des enfants, heureux, courent dans tous les sens. Quelle chance ils ont, eux, de pouvoir courir, alors que moi..! Après avoir réalisé quelques photos, je pensais retourner au centre, mais non il y a encore les autres et il faut, eux aussi, les trouver. A 13h30, j'ai enfin terminé mon reportage, je salue le directeur, ses adjoints et je prends le chemin du retour. « Bon retour », me lance-t-il - « Merci ! » (Tu ne veux pas ma place par hasard ! Me pensais-je, toujours dans mon moi-même).

Je devais, quelques jours plus tard, faire un papier sur les possibilités de promenades, dans cette même forêt qui venait d'être débroussaillée et réorganisée. Passant à proximité et les pieds naturellement anesthésiés, je ne pense plus à ma vendeuse (si quand même un peu, puisque j'en parle), je décide de commencer mon prochain article par quelques repérages et photos. Sur le plan, à l'entrée de la forêt, est situé, au bout d'une ligne droite, d'environ trois cents mètres, un poteau indicateur d'itinéraires, appelé totem. Sur place, point de poteau. Peut-être le plan est-il erroné, je poursuis cette allée forestière superbe sous les grands hêtres, croisant cyclistes et randonneurs. Malgré la température et les risques d'averses, le temps est idéal pour la promenade. Je questionne quelques personnes, qui me signalent, entre autres, la possibilité de rencontrer, tôt le matin, une faune composée de lapins, lièvres et chevreuils. C'est une bonne nouvelle, mais aux environs de 14h, tous ces habitants de la forêt vaquent certainement à d'autres occupations. Pour ce qui est du totem, personne ne l'a aperçu (pas de totem, donc pas de flèches…et pas d'indiens ! On peut rire non !). Tenace, je continue.

Après une heure de marche supplémentaire, je me suis fortement éloigné de mon parcours initial. Je viens d'arriver à l'autre extrémité de cette forêt, m'éloignant par la même occasion de mon domicile, qui de ce point, n'est relié par aucun service de transport. Depuis mon départ ce matin, je le rappelle à 9h30, j'ai l'impression d'avoir parcouru une bonne quinzaine de kilomètres, si ce n'est plus. Je m'arrête quelques instants à l’ombre, sur le premier banc rencontré, pour goûter un repos, léger, et fort bien venu. Seul, loin de toute civilisation, je pense, je médite, je philosophise, je relativise. Pour certains, c'est tous les dimanches ou presque, qu'ils crapahutent par monts et par vaux, à travers campagnes et forêts, sans penser à la vendeuse (voilà que ça me reprend). Le soleil, enfin présent, poursuit sa route vers l'Ouest. Le banc sur lequel je me trouve, est exposé, après quelques minutes aux rayons du Dieu Râ. A quelques mètres, un autre banc me propose ses accoudoirs et un abri solaire plus conséquent, sous l'épais feuillage des arbres. Je suis heureux de ce déménagement. Un gros nuage, très foncé passe devant le soleil, la chaleur le faisant fondre, un violent orage éclate inondant rapidement la chaussée et remplissant le caniveau. M'accordant encore quelques instants, je reste à l'abri, j'attends, je rêve.

Le camion qui arrive, me fait rapidement, mais très rapidement, sortir de mon rêve, il ne va pas pouvoir éviter la flaque d'eau, là, devant moi, dans laquelle Râ se mire (« Râ se mire ». C'est bien ça, il faudra que je le replace). Tel le cow-boy solitaire qui tire plus vite que son ombre, je tente, sans résultat, d'ouvrir mon parapluie pour faire écran. En un éclair (normal sous un orage me direz-vous) je vois le sourire du conducteur. Occupé à conduire, il m’adresse un signe d'excuses avec le seul doigt disponible de sa main droite, celui du milieu. Rageur et humide, je quitte ce banc pour reprendre mon chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle à moi.

En chemin la pluie reprend, assez forte. Bien que je sois trempé, j'ouvre mon parapluie, après tout, je ne l'ai pas emmené pour rien. Je n'aurais jamais dû faire ce geste. Le camion avait ni évité la flaque d'eau, ni oublié de remplir un peu mon pépin au passage. Il est fort ce chauffeur et qu'est-ce qu'il vise bien. Je me surprends même à ne plus penser à la vendeuse de la veille. Je suis presque zen, sans savoir pourquoi. Si, je sais pourquoi, après avoir médité sur mon banc, j'ai eu cette pensée digne de Confucius: « La sérénité permet ; d'une part de garder les idées fraîches, lorsqu'il faut se mouiller, d'autre part de poursuivre son chemin, même si l'on a mal aux pieds ». Bon, ce n'est pas tout, courage mon petit, il faut bien rentrer un jour…ou l'autre. C'est décidé, ce sera aujourd'hui et c'est tout droit. Il paraît qu'après la pluie vient le beau temps, je confirme, c'est vrai. Le soleil montre à nouveau son magnifique disque doré et ses rayons jouent avec les derniers nuages après qu'ils eussent, de leurs mailles humides, liés la terre avec le ciel (comme c'est beau cette poésie, il faudra que je m'en souvienne). Bref, il commence même à faire chaud, mes vêtements vont sans doute sécher rapidement.

J'approche de la vie citadine, au loin, j'aperçois le métro, il me déposera ensuite à quelques centaines de mètres de chez moi. Je vois déjà mes chaussons se précipiter vers la porte pour m'accueillir, ils sont si contents de me revoir et mes pieds de les apprécier, les uns dans les autres, ils s'entendent bien.

En chemin, un bruit anormal attire mon attention. On dirait que de l'eau coule sous la chaussée ou sous la pelouse, je ne distingue pas très bien la provenance. Plus loin, à une cinquantaine de mètres, il y en a un égout le long du caniveau, je m'approche, rien. Le bruit, toujours présent, s'amplifie, il semble que de l'air tente de s'échapper à travers le sol. J'envisage d'appeler mon copain Dan, le photojournaliste de la mairie, il pourra alerter les services techniques de la ville dont je n'ai pas le numéro. Le bruit se faisant entendre plus fortement, m'inquiète davantage. Je m'arrête, près à utiliser mon téléphone lorsqu’au milieu du gazon, j'aperçois de l'eau qui s'écoule sur la pelouse, je suis certain que quelque chose va se passer et que j’en serai le premier prévenu. Depuis le temps, je vais enfin l'avoir mon scoop, je vais être témoin d'un événement, je vais être aux premières loges. Demain dans le journal, je vois déjà le titre à la une: "Une canalisation éclate en bordure de route". Puis dans les faits divers sur une demi-page, mon papier avec une photo, non deux, des pompiers arrêtant le geyser. Cette idée me fait oublier tous mes soucis de la matinée, je reprends vie, je deviens un journaliste de terrain, un vrai, je vais rejoindre le clan des grands reporters.

Pour les premières loges et le scoop, je vais être servi. Pour vérifier ce que je vois et entends, je me rapproche, du bord du trottoir et me penche. Et là, en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, l'arrosage automatique se met en route, évidemment les buses situées à ma droite et à ma gauche, sont dirigées dans une même direction, la mienne. J'étais sec, je le suis moins, beaucoup moins. Mélancolique, je me surprends à repenser au centre de loisirs et aux enfants, à la forêt et son totem, à Confucius et…à la vendeuse. Elle n'est pas belle la vie !

Non…, oui…, enfin ça dépend.


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